Christophe Gauffeny, architecte conseil & directeur au CAUE 22* : Les territoires ont un rôle à jouer

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La campagne serait-elle une terre d’avenir ? Sans conteste, selon Valérie Jousseaume** qui soutient dans son livre Plouc Pride, un nouveau récit pour les campagnes, que celle-ci « est bien vivante et qu’y vivre serait LA solution face aux crises sanitaires, écologiques, économiques ou sociales de nos vies citadines contemporaines. »

Architecte conseil et directeur du CAUE 22, Christophe Gauffeny considère, quant à lui, que « les communes de mille à trois mille habitants sont les modèles du futur. C’est la taille idéale pour construire et mesurer la sincérité des projets car les gens, en général, se connaissent bien et la relation est directe. De plus, on ne manque pas d’inventivité à cette échelle », constate-t-il. Et de citer la mise en place d’une guinguette ici, la création d’un café associatif là…
Pour ce dernier, la revitalisation de nos campagnes doit se faire dans la concertation.
« Nous devons nous arrêter cinq minutes et réfléchir, dit-il. Il y a beaucoup de questions qui nous taraudent au CAUE. Faut-il ralentir les aménagements urbains ? Faut-il encourager ce que l’on appelle la construction de villas quatre façades, modèle bourgeois (typiquement les maisons de lotissements qui imposent un terrain conséquent, ndlr) ? Est-ce que la priorité ne doit pas être de réaménager les vacances, notamment en centre-bourg ? De toute façon, nous assistons, avec la modification des PLUI, aux dernières extensions d’urbanisation. »
Christophe Gauffeny plaide pour une meilleure appréhension de l’espace agricole. Au fil du temps, les bourgs ont eu tendance à tourner le dos à ce modèle et, pour lui, « c’est bien dommage car l’agriculteur peut devenir, avec une pratique de proximité, un acteur économique majeur de son territoire. La démarche Zéro artificialisation nette***, qui est une bonne chose, doit aussi être une manière d’améliorer la connexion village-périphérie. »
La mixité sociale et générationnelle est évidemment le grand « challenge » de ces revitalisations.
« Mais nous n’y sommes pas, regrette Christophe. Car, la population vieillit dans notre département. C’en est même affolant. Les familles avec enfants n’arriveront pas. C’est un fantasme ! » Les tarifs immobiliers de notre région, tout de même encore élevés dans certains endroits, ont, avec des banques particulièrement frileuses, leur importance dans cette affaire. Il existe pourtant quelques dispositifs qui permettent aux plus jeunes et aux plus modestes d’accéder à la location ou à la propriété. Nous pensons ici aux organismes de foncier solidaire dont la mission est d’acheter et de gérer des terrains afin d’y réaliser ou d’y réhabiliter des logements accessibles à des prix abordables (en locations ou achats). « Les collectivités doivent se saisir de cet outil. Nous militons pour que les communes injectent de l’argent public afin d’acquérir du foncier en centre-bourg pour, ensuite, le réorganiser. Elles peuvent ainsi le mettre à disposition à des conditions particulières. C’est aussi une façon de se prémunir d’acteurs pas toujours désirables (promoteurs, etc…) et de garder la main. Malheureusement, elles n’en ont pas toujours les moyens. »
Les élus peuvent également se référer au Plan-guide édité par l’État. Celui-ci permet d’anticiper les évolutions en matière d’urbanisme et propose une véritable stratégie aux communes qui peuvent alors planifier et établir un projet global et cohérent.
Et la réhabilitation du bâti de qualité (en restant très attentifs au patrimoine), la valorisation et l’accessibilité de l’espace public, les mobilités, la préservation des activités agricoles et l’accueil de commerces doivent être pensés en tenant compte des attentes et des besoins de la population. « Sinon, le projet se casse la figure. »
Après, il n’est pas interdit de détricoter les idées reçues et de ralentir avec, à titre d’exemples, certains aménagements de type rond-point ou mobilier urbain, de débitumer une cour d’école, de se passer de bordures de trottoir afin que l’eau puisse s’écouler naturellement, d’envisager une meilleure perméabilité des sols « car la nature nous rappelle à l’ordre ». Mais cela demande « une gigantesque transformation des esprits ». En tout cas, le monde rural se doit d’avoir sa logique propre « et il n’est surtout pas là pour servir la métropole. »
De son côté, Valérie Jousseaume observe « qu’une transition culturelle et une résurgence des mémoires changent, depuis quelques années, le regard porté sur la ruralité. Nous quittons l’ère de la modernité et les territoires ont un rôle à jouer. »

Nous serions 32,8% de Français à vivre à la campagne selon l’Insee (88% des communes de France). Certains parlent même de 40% car tout le monde n’a pas la même définition de ce qu’est la « campagne ».

** Plouc Pride, un nouveau récit pour les campagnes, aux éditions de l’Aube (collection Monde en cours dirigée par Jean Viard). L’autrice Valérie Jousseaume est enseignante et chercheuse à l’institut de géographie et d’aménagement régional de l’Université de Nantes au sein de l’équipe du CNRS.
*** L’objectif de la Zan (2018 puis 2020) est de réduire de 50% le rythme d’artificialisation et de consommation des espaces naturelles, agricoles et forestières d’ici 2030 par rapport à celle mesurée entre 2011 et 2020. Le Zéro Artificialisation Nette est un objectif fixé pour 2050.

  • * Le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement des Côtes-d’Armor
    Le CAUE 22 est une association indépendante investie d’une mission d’intérêt public (créée par le Conseil général des Côtes-du-Nord en 1979 suite à la loi sur l’architecture de 3 janvier 1977) qui a pour but de promouvoir la qualité de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement (considérés d’intérêt public) sur le département auprès d’élus ou de services d’état, de collectivités, d’associations, de particuliers, d’artisans, d’architectes, d’enseignants…
    Présidé par un élu local, en l’occurrence Thierry Orveillon, maire de Pleslin-Trigavou et conseiller départemental, cet organe de concertation entre les acteurs impliqués dans la production et la gestion de l’espace rural et urbain, conseille, informe, forme et sensibilise des publics variés et apporte ainsi une aide précieuse à la décision aux porteurs de projets tout en défendant l’intérêt public. N’assurant aucun contrôle, ni aucune maîtrise d’œuvre, il n’a d’autre pouvoir que de convaincre. Le CAUE 22 est fortement engagé dans les enjeux actuels que sont la maîtrise du foncier, les économies d’énergie, la gestion des ressources naturelles et la démocratisation de l’architecture. (Sources fncaue.com).