Les cabanes du Valais, l’esprit congés payés

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"Des cabines sur dalle ou pilotis à l'aspect inchangé depuis l'origine."

Seule grève de Saint-Brieuc, la plage du Valais est étrangement peu connue des Briochins. Ses cabines, quasi inchangées, racontent un pan d’histoire remontant aux congés payés. Et scoop : longtemps menacé, ce petit paradis voit désormais son avenir assuré !

Tout commence au début XXe par une cabine de plage: celle du propriétaire du château de Cesson, au-dessus, près de la tour. Un simple coin pour enfiler son maillot en ces temps pudibonds. En 1936, congés payés aidant, des gens sans particule estiment eux aussi avoir droit à leurs cabines de bain, vite transformées en bungalows. C’est le cas de M. Ansquer (voir éclairage), puis sur les hauteurs de cheminots qui installent des wagons au rebut tirés depuis la voie ferrée voisine (l’un d’eux y est toujours).
En ces années d’insouciance, d’autres cabanons se mettent à fleurir. Au ras de l’eau, le long des deux criques, ou en hauteur sur des parcelles louées une bouchée de pain aux paysans voisins. On ne s’embarrasse pas trop à l’époque. Cité Baby au sud, Petit Monaco au centre, Côte des Belles au nord.
Après la guerre, la floraison reprend de plus belle. On reste parfois tout l’été dans sa cabine. ça ne coûte pas cher. Niveau hygiène c’est moyen mais la mer est là pour laver la vaisselle et les fesses du petit. Des amitiés se tissent, été après été. On se retrouve entre enfants, amis, parents. On fait perdurer l’esprit Front populaire. Le lieu est surnommé « plage des pauvres », par opposition à celle des bourgeois, aux Rosaires. Mais on y tisse des liens souvent bien plus riches. C’est aussi ici qu’est attesté le premier cas de « nudisme ».
Çà reste du camping, mais avec de la débrouille, on finit par acheminer eau et électricité, du moins en haut. En bas, les toilettes et douche publiques font office. Certains résistent même à l’année. Ils cultivent jardin, géraniums aux fenêtres, ornent les façades de couleurs et surnoms improbables : Copa Cabanon, Ty Korriganed, Cabanana, Petit Monaco… Pas mal de Parisiens deviennent Briochins pour se rapprocher de leur paradis. Un paradis qui, la législation devenant tatillonne, est longtemps resté en sursis.

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La lutte et la fête ont fini par payer !

Alors que leurs cabines étaient vouées à la destruction, les résidents ont su se rassembler et faire le gros dos. Soutenus par la population et les artistes, ils ont convaincu les autorités qu’elles faisaient désormais partie intégrante du patrimoine et des cœurs briochins.

Pour beaucoup, il ne faisait aucun doute qu’ils faisaient déjà partie du paysage ces cabanons un peu foutraques, faits de bric et de broc, aux couleurs disparates, accrochés à la falaise depuis plus de 80 ans. Mais pas pour la municipalité en place en 2009.
Cette année-là, Frédérique Girardin, Parisienne, a l’opportunité d’acheter La Normande, cabine de 1935. Rendez-vous est pris chez le notaire qui constate que l’emplacement est préempté. Frédérique rencontre les élus qui lui assurent qu’à terme « tout sera rasé pour laisser place à une zone naturelle ». L’illégalité et le traitement des rejets sont invoqués. « Pour ce qu’on rejette ! contre-argumente Thierry Gaubert, on se lave à la douche publique… »
Dès l’été, Frédérique réunit une association de « cabanistes » qui rassemble 100 artistes en 2011 et jusqu’à 2.500 visiteurs lors d’une fête géante de sensibilisation. Musiciens, jongleurs, jeux pour enfants… La cabane des Gaubert est même transformée en Sténopé (chambre photographique). Chaque fin juin, six ans durant, la fête attire un monde incroyable venu soutenir les résidents. Jusqu’à la récente décision du Maire, visiblement convaincu : La préservation des cabanes est actée. Ouf général de soulagement. Mais la fête est maintenue fin juin… Pour fêter la victoire, cette fois.

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Cabanistes de père en fils
Au début était le beau-père, M. Ansquer, propriétaire d’une cabane de charbonniers, en forêt de Lorge. Ces derniers partis, la cabane devenue inutile est transplantée au Valais. Dans les années 70, Lionel Gaubert, le gendre, la reprend pour la garder dans la famille. L’occasion pour tous de vacances peu chères, entourés d’amis, à traquer le bar ou le carrelet. Son fils Thierry y passe les deux mois entiers. Il se souvient des copains retrouvés d’été en été, de l’amitié partagée, des bains de mer et feux de camp vers le « Trou à Cochons », la crique voisine. « Des étés de rêve que peu ont la chance d’avoir connus ».

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Cachez ce sein…
Dans les années 60, une audacieuse ayant dénudé ses seins fit l’objet d’un article complet dans un journal local où l’on décrivait d’un côté l’indignation outrée de la majorité, de l’autre l’étrange lubie qui poussa ce jour-là plusieurs riverains à repeindre leurs cabanons, « jusqu’à, pour certains distraits, en recouvrir les vitres. » Le nu a souvent déclenché des âmes d’artistes.

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