Perros-Guirec et la BD : Une belle histoire d’humour et de fidélité

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Le festival BD de Perros fête ses 25 ans, la pleine jeunesse. Au départ, une poignée d’auteurs perrosiens : Loisel, Kraehn, Vicomte… Certains ont émigré, mais restent fidèles au festival. D’autres sont restés et en tiennent toujours les rênes. Ainsi André Morvan, le régional de l’éclate.

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Avant le festival, celui dont le surnom rime si bien avec BD, s’était déjà fait un nom auprès des lecteurs de l’hebdo Le Trégor et aujourd’hui du Télégramme. Car la passion d’André Morvan, c’est le dessin de presse. « J’aime bien le format court. Une case, un strip (une bande) au max. » Bref, Dédé préfère le sprint à l’endurance.
Ses dessins de presse privilégient les sujets locaux (sable, algues vertes…) souvent croisés avec des thèmes plus larges. « Il y a même parfois trois niveaux de lecture. » Si la forme est rigolote – ses hommes ont de gros nez, ses femmes de gros nénés – le fond est parfois plus sérieux qu’il n’y paraît.
« Dans la rubrique Mine de Rien du Trégor, Tassuad et moi, on a un peu créé l’actualité humoristique locale. » Et fait des émules : Clam, Bibeur Lu, Blÿnt…. Après le décès de son binôme Tassuad, André reste seul à animer les forums du festival. Cette année, ces derniers auront pour thèmes les œuvres de Margerin, Fournier et Krys.
Si André considère son travail plus comme un hobby que comme un apostolat, le succès de son dernier recueil Traits Trégorrois (chez Yil) montre que certains hobbies sont pris très au sérieux par le public.

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Terreau fertile pour talents subtils

A l’instar de Pont-L’abbé pour les peintres, Perros-Guirec a su inspirer durablement auteurs et dessinateurs de renommée…

Loisel s’est envolé

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C’est en 1989 que Loisel s’installe à Perros, à l’instar de ses amis Kraehn, Vicomte et Cothias. Sa Quête de l’oiseau du temps publiée entre 82 et 87 avec Serge Le Tendre connaît un énorme succès et affiche déjà un goût prononcé pour les formes généreuses de ses héroïnes. Inclinations confirmées dans son adaptation très libre de son Peter Pan, dans les années 90.
Grand prix du festival d’Angoulême 2002, et parti au Québec, Loisel a depuis produit Magasin Général et travaillé pour Disney. Certains Perrosiens se souviennent aussi de l’inspiration qu’ils ont apportée à l’auteur pour des ouvrages plus grivois comme La dernière goutte est toujours pour le slip.

Kraehn, perrosien
durant 23 ans

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Il est rare de convaincre un éditeur de vous publier avant d’avoir fait toutes vos preuves. C’est pourtant ce qui arrive à Kraehn dans les années 80 avec Les Aigles décapitées dont il reprend la série comme dessinateur. Gros succès. Puis viendra Bout d’homme, au scénario et dessin, dont le dernier tome paraît en mai. L’histoire d’un enfant qui s’arrête de grandir à 10 ans. Les séries qui vont le consacrer sont Gil Saint-André, les tribulations d’un homme enquêtant sur la disparition de sa femme et Tramp, illustrée par Jusseaume. Des succès spectaculaires.
Kraehn est longtemps resté perrosien, s’impliquant dans la vie locale et surtout celle du festival, dont il est un des pères.

Juillard & Cothias, toujours là

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Leur collaboration a donné lieu à une des plus belles fresques de la BD historique française. Une des plus monumentales de surcroit puisque le cycle des Sept vies de l’épervier couvre en tout 53 albums, tous scénarisés par Patrick Cothias, le seul à être resté 100 % perrosien. André Juillard a dessiné les plus fameux d’entre eux. Depuis 2000, il a également repris Blake & Mortimer, les héros créés par E.P. Jacobs. Grand Prix d’Angoulême 96, Juillard vient régulièrement à Port-Blanc où il a acheté une maison.

Alain Goutal a plus d’une mine à
son crayon

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Il est arrivé au pays Plinn, du côté de Saint-Servais, à 24 ans, avec sa femme Cathie, porté par la vague du retour à la terre. Il y a côtoyé les acteurs de la renaissance du Kreiz-Breizh. Beaucoup ont décroché mais lui s’y est enraciné, jusqu’à en devenir un des symboles.

Tout jeune dessinateur, Goutal se retrouve le bec dans l’eau quand La Nation bretonne, journal fondé par Glenmor et Xavier Grall, cesse de paraître au moment où il devait y entrer. Il survit alors en dessinant des affiches pour des fêtes locales, des festoù-noz (650 à ce jour !), puis intègre une agence de presse. Le dessin d’actualité devient peu à peu son cheval de bataille.
Mais l’homme a plus d’un crayon à son arc. Il collabore aux magazines Pilote, le Canard de Nantes à Brest (avec Nono), Frilouz, Oxygène… où il affûte sa mine « d’observateur anarcho-écolo ». Une mine qui ne se démentira pas.
Il illustre aussi des BD comme Kanata avec Alain Deschamps, mais se montre plus encore féru d’Histoire que d’histoires, notamment à travers ses albums sur le passé de Nantes ou Saint-Malo.
Saint-Malo justement. En 92, JC Fournier, Dieter et lui-même reprennent le festival BD finissant et en font Quai des Bulles, devenu grâce à eux le 2e festival français du genre. « 17 ans au four et au moulin, avec Cathie, c’était bien mais ça use ! » Les collaborations se succèdent : Tintouin au Tibet, Rature Pendragon… Dans sa récente illustration du très beau Kreiz-Breizh d’Hervé Bellec, sa mine se fait crayon de soleil pour évoquer son centre Bretagne à la réputation humide. Mais c’est le dessin de presse qui le fait rayonner plus largement, notamment dans les émissions de Canal +, chez Michel Field, Philippe Gildas et aujourd’hui sur le blog de Médiapart. Le regard qu’il porte à l’actualité rend sa mine drôle et acerbe. Chaque jour il dézingue un politique au crayon laser.
Les dessins vus sur ses propres blogs* jusqu’à 100.000 fois (et en libre partage !) amusent, étrillent mais aussi émeuvent.
Ils sont aujourd’hui rassemblés en albums : Du vent dans les voiles, Après moi le déluge, Panier de crabes… Attention, les puissants, le Sean Connery des hauts plateaux bretons ne vous ratera pas !

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http://goutal.over-blog.comwww.facebook.com/utilisateuralaingoutal

Frank Margerin
Le père de Lucien déboule sur la côte

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Après 40 ans, Margerin l’auteur et Lucien sa créature, ont gardé la banane. Photo Cécile Gabriel/DR
Après 40 ans, Margerin l’auteur et Lucien sa créature, ont gardé la banane. Photo Cécile Gabriel/DR

L’invité d’honneur du festival de Perros est un pur parigot… qui connaît bien la Bretagne. Une expo lui est consacrée à la Maison des Traouïero*. Lucien, Ricky, Manu, Momo y débarquent en Harley ou en mob, avec blousons noirs, bananes blanchies et guitares électriques. Entretien avec leur papa, drôlement sympa.

Le Flâneur. Vous êtes un vrai motard, viendrez-vous à Perros à moto ?
Frank Margerin. Je n’ai jamais arrêté de faire de la moto depuis mes 18 ans, C’est une passion. Je roule toute l’année, par tout temps. Malheureusement, ma vieille BMW m’a lâché. Je roule maintenant sur une vieille XT 500 . J’ai aussi 2 motos de trial et une BSA des années 50. Ce n’est pas avec ce genre de moto que je risque de venir à Perros.
Lucien aurait-il été imaginable à Perros, aurait-il fait du surf au lieu de la moto ?
Lucien pourrait tout à fait s’installer à Perros, mais ce n’est pas un grand sportif, il n’a jamais fait de surf et craint l’eau froide. Je pense qu’il préférerait regarder les surfeurs depuis un bar, près de la mer.
Ricky, Lucien, Gillou, Momo ont-ils eu des modèles dans la vie réelle ?
Ricky et Gillou sont directement inspirés de mon meilleur pote de l’époque et de mon frère, les autres sont imaginés, même s’ils sont proches de certains de mes copains.
Et vous, duquel vous sentez-vous le plus proche ?
De Lucien mais je me retrouve aussi dans d’autres personnages.
Contrairement à plein de héros BD, Lucien vieillit au fil des albums. Pourrait-il mourir ?
Lucien a vieilli car j’ai vieilli et je voulais me rapprocher de lui, raconter la paternité, les problèmes liés à l’âge et le décalage avec les jeunes d’aujourd’hui. J’aime trop Lucien, il m’accompagne depuis 40 ans, me fait vivre et m’exprimer. Le tuer serait une injustice et une grande douleur, j’aurais l’impression de perdre un être cher, voire une partie de moi-même.

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Briac et le Méridien
«Il est 5 heures, je n’ai pas sommeil»

Briac exerce une activité solitaire, proche de l'aquarelliste de moyen-age. « Il faut que l'entourage soit conciliant. »
Briac exerce une activité solitaire, proche de l’aquarelliste de moyen-age. « Il faut que l’entourage soit conciliant. »

Actuellement, Briac planche sur un projet d’envergure : Méridien, une bande dessinée qui relate de manière onirique l’étonnante épopée, au XVIIIe siècle, de savants français au royaume du Pérou. Pourtant, malgré le succès de ses albums précédents, notamment d’Armen (on parle ici de près de 10 000 exemplaires vendus), le dessinateur Guingampais reconnu par ses pairs et associé à un scénariste de renom, Arnaud Le Gouëfflec, peine à trouver un éditeur. Une certaine frilosité semble être de mise dans ce milieu. C’est cela aussi le monde de la BD.

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Ici, rue de la Coline à Guingamp, la petite lumière de l’atelier de Briac brille jusqu’au petit matin.
« Je dessine en effet de 16h00 à 18h00 et de 20h00 à 7/8 heures du mat’. »
C’est dans cet espace-temps que Briac Queillé se sent le plus à son aise pour libérer son trait si particulier. Puissant, parfois noir, avec un dessin « nerveux », celui-ci ne laisse pas indifférent.
« J’ai une technique étrange, qui sort sûrement des codes de la BD. C’est peut-être ce qui fait peur aux éditeurs. »
Bien sûr, son travail, qui s’apparente à celui d’un peintre, se démarque quelque peu des ses collègues dessinateurs. Mais le bon accueil fait à ses ouvrages prouve qu’il existe un véritable potentiel lecteurs.
« Lors des dédicaces, je vois bien que je ne fais pas fausse route. J’ai du monde. Beaucoup d’amateurs de BD sont rentrés dans mon univers. C’est ce qui m’importe. Je veux les interpeller. D’ailleurs, mes planches dessin se vendent très bien. »
Mais le sujet du moment, c’est clairement cette recherche compliquée d’éditeur. « Nous avons besoin d’être vus. De toute façon, il faut continuer, encore continuer. »
Nous espérons en tout cas découvrir le travail de Briac et de son complice Arnaud Le Gouëfflec dans les bacs au plus vite. Peut-être, si tout va pour le mieux, courant 2019. A suivre.

Briac en bref
Formation aux Beaux Arts de Brest et à l’académie Charpentier mais Briac se considère avant tout comme un autodidacte .
Bûcheron pendant deux ans.
1998 : Prix du jeune auteur à Quai des Bulles (président : François Bourgeon)
1998 : premier album, « Armen », à 40 ans.
2010 : « Brest en bulles » ouvrage Kaléidoscopique.
2010 : « Les gens du Lao Tseu » au graphisme original.
2013 : « Quais divers » pour la SNCF
2014 : «La nuit Mac-Orlan », le Brest qui suinte avec Arnaud Le Gouëfflec au scénario.
2015 : « Quitter Brest » avec Yvon Cocquil.
2017 : Membre de l’équipe de Casier[s], une revue/BD.
Ses influences : Pratt, Tardi, Moebius, Rabaté côté BD, Gaugain, Van Gogh, Nolde, Soutine côté peinture.