Lin, chanvre et commerce des toiles : Une richissime Bretagne

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La culture du chanvre et du lin a indéniablement marqué d’un sceau indélébile l’histoire bretonne avec, du XVe siècle au début du XIXe, un âge d’or, un essor prodigieux. La filière a fait à cette époque la richesse, que dire, la fortune de notre région. Puis est venu, pour toutes sortes de raisons, le déclin (fin XIXe). Aujourd’hui, beaucoup misent sur le retour de ces deux plantes. Parfaitement adaptées aux sols et au climat de notre territoire, elles possèdent de surcroît de bien précieuses qualités environnementales, nutritionnelles et cosmétiques.

Gonzague Dehaeze, président de Lin & Chanvre en Bretagne, entouré de Josselin Saliou et d’Andrée Le Gall-Sanquer. Photos Plc et DR.

Tout d’abord, évoquons l’âge d’or du commerce des toiles qui a rendu si riche notre région. Si la culture du lin et du chanvre a débuté au IXe siècle en Bretagne, ce miracle breton a atteint son apogée entre le XVIe et le XVIIIe siècle.
« Cela générait une activité économique intense, souligne Gonzague Dehaeze, l’actuel président de Lin & Chanvre en Bretagne. La Bretagne était alors l’une des premières provinces toilières françaises. »
La qualité de sa production et sa situation géographique, avec de nombreux ports, ont favorisé un commerce qui allait devenir particulièrement florissant.
« La Bretagne était au cœur d’un vaste système d’échanges planétaires. Les graines de lin en provenance de Lituanie et de la Baltique arrivaient à Roscoff, souligne Andrée Le Gall-Sanquer, aujourd’hui vice-présidente de l’association Lin & Chanvre en Bretagne après l’avoir longtemps présidée. Les cultures de lin s’effectuaient sur les terres fertiles et humides du littoral nord. Et celles du chanvre à Locronan, dans le bassin rennais, voire dans l’arrière pays. »
Les fibres de ces productions étaient ensuite transformées par des paysans-tisserands.
« Il s’agissait d’un métier de complément, indique Julien Paraiso, médiateur culturel à la ville de Quintin et responsable du musée La Fabrique-Atelier du Lin. Et tout le monde s’y mettait, les hommes, les femmes et les enfants. Dès7/8 ans. Mais, il ne faut pas se tromper, ce travail était une vie de misère. D’ailleurs, ces paysans n’étaient pas toujours propriétaires de leur métier à tisser. »
Ces travaux, du semis jusqu’au filage, nécessitaient une main-d’œuvre pléthorique. En Bretagne, on estime à 25 000 le nombre de tisserands au XVIIIe siècle.
Le lin était utilisé pour la confection de linge de maison ( draps, nappes, dentelles, mouchoirs), de blouses et de chemises fines destinées aux bourgeois locaux et espagnols. Le chanvre, plus rustique, servait plutôt à réaliser des vêtements de travail, des sacs, des cordages et des voiles appréciées pour leur solidité. À cette période, le développement des bateaux à voile et des échanges internationaux fait que la demande est forte. Notamment de la part des marines européennes.
Les réputées toiles bretonnes trouvent alors de nombreux débouchés. « Elles étaient exportées depuis les ports bretons – Saint-Malo, Landerneau, Vannes, Morlaix, Lorient, Nantes et Saint-Brieuc – vers le Portugal, l’Angleterre, l’Amérique du Nord et l’Espagne qui, elle, les ré-expédiait vers ses colonies d’Amérique du Sud », précise Gonzague Dehaeze.
Ce succès s’explique en grande partie par le suivi pointilleux et le contrôle méticuleux de la fabrication bretonne avec un cahier des charges très précis pour chaque type de toile. « Les vérifications se passaient dans les bureaux de la marque situés dans les ports autorisés qui étaient tenus par un commis et deux inspecteurs choisis parmi les négociants », souligne Andrée Le Gall-Sanquer. On le voit, l’organisation ne laissait que très peu de place à l’improvisation. Et ce sont les négociants et les marchands qui, comme bien souvent, tirèrent le mieux leur épingle du jeu. Ils ont, on peut le dire, engrangé de considérables fortunes. « Ils appartenaient souvent à la classe moyenne ou supérieure et avaient tendance à se regrouper en confréries. Ils jouaient un rôle très important dans l’économie de l’arrière-pays, lieu de culture et, surtout, de transformation », poursuit Andrée. Le riche patrimoine laissé par ces négociants – hôtels particuliers, belles et ostentatoires demeures, chapelles et enclos paroissiaux qu’ils financèrent, notamment dans le Nord Finistère – témoigne d’une grande opulence.
Vers la fin du XVIIIe siècle et au tout début du XIXe, on assiste à un réel bouleversement : Poussée par une concurrence venue des colonies avec la soie et le coton indiens et fragilisée par l’industrialisation du Nord de l’Europe, la filière se voit contrainte de repenser sa manière de faire. La mécanisation se met alors en place.
« À titre d’exemple, les négociants du nord Finistère s’associent, rassemblent des capitaux et montent la Société Linière du Finistère qui s’implante à Landerneau et dont les statuts datent de 1845, indique Andrée Le Gall-Sanquer. Ils se tournent vers les anglo-
saxons pour encadrer le travail des ouvriers bretons sur les machines. Mais avec l’arrivée du coton, des machines à vapeur et, aussi, faute de marchés, la société ferme ses portes en 1891. »
Dans ce qui est aujourd’hui les Côtes d’Armor, c’est un peu différent. « Ici, les patrons n’ont pas voulu investir », constate Julien Paraiso.
Tous ces changements s’avéreront toutefois insuffisants. La filière décline, inexorablement. Il y a bien sûr plusieurs facteurs à cela. Tout d’abord les guerres de religion (guerre de la Ligue 1588-1598 en particulier), la progressive disparition de la navigation à voile (à partir de 1850), les affrontements avec les pays importateurs, une mécanisation pas du tout à la hauteur, une rude concurrence des manufactures du nord de la France et la mise sur le marché des toiles
imprimées et du coton venus des Indes. Ensuite, l’arrivée du nylon et des produits à base de pétrole sonnera le glas de cet âge d’or breton. Il faut aussi évoquer la multiplication des taxes du Trésor français qui voyait là un bon moyen de combler son déficit et des contrôles de plus en plus tatillons.
La culture du lin perdure bien dans le Trégor jusqu’au milieu du XXe siècle afin de fournir les filatures du Nord de la France, mais l’or bleu n’est déjà plus qu’un souvenir. Celui d’une époque où l’on entendait fréquemment dire « qui n’a pas de lin, n’a pas de pain. » Une époque où l’historien et écrivain poitevin de La Popelinière (XVI) n’hésitait pas à affirmer que « la Bretagne est le Pérou des Français. »

Julien Paraiso, ici derrière le métier à tisser du musée La Fabrique-Atelier du Lin de Quintin, vous fera suivre les traces des 700 tisserands qu’a connus la Petite Cité de Caractère. Une découverte interactive et
multi-sensorielle.

Dès le Néolithique :
Si les premières cultures de chanvre en Bretagne sont apparues aux alentours du IXe siècle, avant de prendre véritablement leur essor courant XIIIe, la plante, originaire d’Asie centrale, est domestiquée depuis le Néolithique, soit 8000 ans avant JC et la sédentarisation de l’Homme.
« Les plus anciennes traces se situent en Anatolie et datent de 850 avant J.-C », indique Andrée Le Gall-Sanquer. Le lin était lui aussi cultivé au Néolithique, plutôt sur la zone de ce qui est actuellement l’Irak. Ensuite, il fait son apparition sur les côtes sud de Provence et du Languedoc, avant de conquérir progressivement les régions situées plus au nord. C’est dire si l’histoire de ces deux plantes remonte à loin.