Le Trieux, frontière et trait d’union

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La frontière entre Trégor et Goëlo n’a pas toujours été que symbolique. Avant le XIXe, la rareté des ponts transformait le Trieux en obstacle. Il était en revanche un axe vital pour le commerce entre l’Argoat et l’Armor. Aujourd’hui c’est pour son écosystème préservé et sa beauté qu’on l’apprécie.

A le voir majestueux par marée haute à son embouchure, qui dirait que ce fleuve côtier mesure à peine 72 km ? De simple ruisseau à Kerpert, il reste rivière d’eau douce jusqu’à Pontrieux. Une rivière où se pressaient jadis, à la queue-leu-leu, une noria de moulins à blé ou à lin, comme celui de Millin ar Drew (moulin du Trieux). On y compte plus de 30 noms relatifs aux moulins et encore de nombreuses ruines ou transformations en habitations, signes d’une intense activité économique.

Mais tous ces déversoirs sont autant d’obstacles pour les poissons frayeurs comme l’anguille, la truite fario ou le saumon. Ce dernier était si présent au XVIII e que les ouvriers exigeaient par chartre de n’en pas manger plus de trois fois par semaine. Moins nombreux qu’avant, tous ces poissons reviennent peu à peu et attestent de la relative qualité de ses eaux.

Berceau écologique, le Trieux est aussi un déclencheur industriel car, outre les moulins, il a fait tourner les usines métallurgiques Tanvez (1856-1966) et bouleversé la vocation rurale de la ville.

Cependant, la véritable plaque tournante de la rivière a longtemps été Pontrieux, point de contact entre terre et mer. Les bateaux venus de partout  y déchargeaient sels, vins, fruits secs, alcools, résines, denrées coloniales, maërl… Et y embarquaient jusqu’à 6000 tonneaux annuels de grains, pommes et farines. Grâce à son écluse, le port n’est plus soumis à la marée et continue de voir transiter maërl et sable coquillier. Mais aussi de plus en plus de bateaux de plaisance.

Le port de Pontrieux accueille de nombreux plaisanciers
Le port de Pontrieux accueille de nombreux plaisanciers

Côté mer : un vrai fleuve de roman

C’est cependant après Pontrieux que la rivière prend ses aises et des allures de vrai fleuve. Ses méandres cernés de coteaux verts, or et mauve, selon la saison, en font un des plus beaux estuaires de France. On peut le longer en bateau, à pied et même parfois… en train à vapeur.

Un estuaire que ne manquèrent pas de piller les vikings : jusqu’à une quinzaine de forteresses  ont été bâties sur ses flancs pour s’en défendre, dont celle de Frinaudour, à la confluence du Leff, seul endroit où les drakkars pouvaient faire demi-tour.  Là se dresse maintenant le pont métallique d’Eiffel, sur la ligne ferroviaire Guingamp-Paimpol qui voit passer en été l’un des derniers trains à vapeur.

Sur le versant opposé, le château de La Roche-Jagu ne remonte qu’au XVe, mais jamais il n’a connu plus d’affluence qu’aujourd’hui : expos, spectacles, concerts, jardins d’où on a une vue rare sur le Trieux… C’est un des lieux de prédilection des Costarmoricains.

En descendant encore le fleuve, la beauté s’accentue. A droite, le bois de Lancerf, ses pins, ajoncs et bruyères annoncent la mer mais gardent un parfum de mystère, notamment vers la Maison de l’Estuaire, ancien lieu du drame de l’affaire Seznec (voir éclairage). A gauche, le moulin à marée de Traou Meur rappelle comment le Trieux savait nourrir les hommes, tout comme les huîtres de  Toull Huiled le font encore, idéalement bercées entre flux et reflux, eaux douces et salées.

Soudain le lit s’élargit. On croirait presque à la mer. On est au bien-nommé Lédano (le large en breton) dans les vases duquel on retrouve encore des reliques métalliques de la « raclée » qu’Alain Barbetorte aurait infligée aux vikings (encore eux) en 936.

Que l’on passe en bateau ou à pied par le GR sous le pont de Lézardrieux, l’un des premiers à haubans construits (1840), on se retrouve à nouveau entouré de bois, ceux de Loguivy. L’île à bois, en face, Modez plus loin et enfin l’archipel de Bréhat sont les dernières débris de terre que croise le fleuve avant de se fondre à la mer.  Des frayères à saumons au grand large, un raccourci magique de ce que la Bretagne a de plus intime et de plus infini.

Quand le Trieux prend ses aises (ici à Léardrieux )
Quand le Trieux prend ses aises (ici à Léardrieux )

La Maison de l’Estuaire et l’affaire Seznec

Au Manoir de Traou-Nez, devenu Maison de l’estuaire, on peut venir à pied, en auto, en bateau et même en train car un arrêt existe sur la ligne Guingamp-Paimpol, empruntée en saison par le Vapeur qui permet l’été de voyager à l’ancienne. Le manoir est célèbre pour être au cœur de l’affaire Guillaume Seznec, vendu à ce dernier pour un prix dérisoire par un négociant, Pierre Quemeneur, dont on n’a jamais retrouvé le cadavre. Une affaire jamais élucidée. Devenu lieu de découverte du massif forestier de Lancerf et de l’estuaire,  le lieu propose des expos temporaires, animations, ateliers nature ainsi que des spectacles.

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